Encore feministes !

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Action n°44 - août 2009
Le "dépit amoureux" selon Frédéric Mitterrand
Lettre ouverte des Chiennes de garde au ministre de la Culture

 

Marie Trintignant est morte il y a six ans, le 1er août 2003.
Elle a été tuée par l'homme qui disait l'aimer.
Était-ce du « dépit amoureux » ?


Marie Trintignant est-elle morte pour rien ? On peut le craindre à vous entendre, vous, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, quand vous apportez votre soutien au rappeur Orelsan.
Dans un rap, « Sale pute ! », dont le clip est disponible sur Internet, Orelsan insulte la femme qu'il aime et la menace d'horribles tortures parce qu'il l'a vue embrasser un autre homme. L'ensemble de son répertoire (par exemple, « Suce ma bite pour la Saint-Valentin ! ») est tout aussi violent envers les femmes, avec une complaisance inadmissible dans la description de violences physiques, viols, viols collectifs, transmission volontaire du sida, assassinat, avortement forcé, pédocriminalité, etc.
Interviewé, Orelsan affirme ne rien regretter de ses outrances, et dans l'un de ses raps il revendique même d'être compris au « premier degré ».
Le 14 juillet, sur RTL, vous avez déclaré « ne rien voir de choquant » dans la chanson « Sale pute ! », où vous ne percevez que l'expression légitime d'un « dépit amoureux ». Dépit amoureux ! Nous ne sommes ni chez Molière ni chez Marivaux, M. le ministre, mais dans la vraie vie : comment pouvez-vous percevoir de l'amour dans ce désir de se venger d'une femme, en la faisant souffrir, en la blessant, en la tuant ?

Ce « dépit amoureux » tue. Dans d'autres pays, on l'appelle par son nom : violence conjugale masculine. En France, dans un foyer sur dix, l'homme commet des actes de violence graves sur la femme. Tous les deux jours, un homme tue sa femme, ou sa compagne, et parfois aussi leurs enfants.

Il est irresponsable de prendre à la légère les paroles d'Orelsan, car il s'agit de banalisation du meurtre de femmes. Nous attendons plutôt de responsables politiques qu'ils concourent à apprendre aux hommes et aux garçons violents à se maîtriser. M. le ministre, relayez donc le travail féministe en déclarant que la violence n'est jamais une solution ! La violence est le problème.
août 2009

voir le site des Chiennes de garde

Autre lettre ouverte au ministre

Monsieur le Ministre,
Si j'en crois les média, vous avez déclaré ne pas comprendre la réaction de nombreuses féministes appelant au boycott du chanteur Orelsan et demandant, en particulier, qu'il ne soit pas sponsorisé par de l'argent public. Pour vous, il serait le Rimbaud du XXIème siècle et nous, des philistines. Mais il me semble qu'en tant que ministre de la culture, vous devriez être encore plus sensible à la culture que véhiculent Orelsan et d'autres. Cette culture est sexiste, misogyne et mortifère. Elle encourage certains à passer à l'acte. Non, bien entendu, en donnant un mode d'emploi mais en banalisant ce qui est, devrait être un crime. Battre, tuer une femme reste le quotidien du sexisme ordinaire. Et ce, ici et maintenant, autant que dans les autres cultures.
Le 5 août encore un «forcené» est entré dans un gymnase à Pittsburgh aux Etats-Unis et a ouvert le feu sur les personnes qui étaient là, c'est-à-dire douze femmes. Nombre de forcenés sont, en effet, des hommes qui tuent des femmes. Mais alors que l'on parle de «crime d'honneur», de crime homophobe ou antisémite pour d'autres, c'est ici la folie qui serait la responsable. Du moins une folie passagère ou, comme vous le justifiez vous-même un « dépit amoureux ». Mais George Sodoni, informaticien de 48 ans, a lui aussi tué par dépit amoureux. Est-ce donc pour vous excusable ? Il a mis en mots ce dépit pendant de long mois dans son journal. Est-ce du Rimbaud ? Ou ne serait-ce pas plutôt le sexisme ordinaire, la misogynie rampante, la volonté de faire de toutes les femmes des objets et de les posséder ? Cet homme a tué parce que, sur les quelques millions de femmes qu'il jugeait « consommables » aucune n'a voulu avoir de relations sexuelles avec lui. Mais qui, quel que soit le sexe ou l'orientation sexuelle, se sentirait attiré par une personne pour qui elle ou il n'est que de la chair à plaisir ?
Quelques mois plus tôt, le 11 mars 2009, c'était un jeune lycéen de Winnenden qui entrait dans son lycée et abattait quatorze femmes. Lui aussi avait mis sur le net son désir de tuer : « J'en ai marre, j'en ai assez de cette vie qui n'a pas de sens, c'est toujours la même chose. Tous se moquent de moi et personne ne reconnaît mon potentiel ». La police a retrouvé dans sa chambre des vidéos pornographiques, des DVD misogynes jugés « dans les normes » pour un adolescent. Il en va de même pour la tuerie à l'École polytechnique de Montréal (6 décembre 1989) où l'assassin avait clamé sa volonté d'exterminer des féministes car elles prenaient professionnellement la place des hommes : il sépara les femmes des hommes présents dans la première classe où il est entré. Il ordonna aux hommes de partir. Il demanda ensuite aux femmes restantes si elles savaient ou non pourquoi elles étaient là, et lorsqu'une d'elles répondit « non », il répliqua : « Je combats le féminisme … Vous êtes des femmes, vous allez devenir des ingénieures. Vous n'êtes toutes qu'un tas de féministes, je hais les féministes ».
On peut lister à l'infini ces « forcenés » qui, par « folie passagère » tirent sur des femmes, tels le « forcené » de Lyon qui, le 20 mars de cette année, a tiré sur des mères attendant leurs enfants devant une école maternelle.
Je sais bien qu'on ne peut attribuer à une personne, fût-il chanteur, la capacité de pousser certains au crime. Mais je crois que l'ambiance sociale y contribue, que le fait qu'on puisse crier « Femme, à mort ! » Quelle ne doit pas être la douleur et l'horreur de la famille et des ami-e-s de Marie Trintignant dont la mort est devenue pour Orelsan un verbe : «je vais te marietrintigner ». Personne à ma connaissance n'a fait du meurtre homophobe d'Harvey Milk un verbe. Et je ne crois pas que vous auriez approuvé la mise à mort même imaginaire d'une personne pour des raisons de religion ou de pratiques sexuelles, alors pourquoi le dépit amoureux, quand il est envers une femme, donnerait-il le droit de faire violence, de se venger, de juger et de condamner ?
En espérant que vous chercherez, en tant que ministre de la culture, à promouvoir le respect de tous et de toutes, veuillez recevoir mes salutations féministes et distinguées.
Thérèse Moreau, écrivaine, 11 août 2009