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Voici la lettre que j'adresse au responsable du magazine français Psychologies, au nom de notre réseau.
Monsieur,
Vous avez choisi de mettre en couverture du numéro d'octobre de Psychologies ces mots : « cahier sexe : un peu de violence ne nuit pas ».
Ce titre accrocheur et votre campagne massive de diffusion sur les parois des kiosques ont répandu cette idée dans le grand public.
Il faut ouvrir le magazine pour découvrir que l'article de Flavia Mazelin Salvi s'intitule << Un peu de « violence » ne nuit pas >>, avec le mot violence mis à distance entre guillemets, et précise : << Pas de malentendu : nous ne faisons pas ici l'apologie de la brutalité en amour. >>
La violence, précise l'auteure, « est toujours alimentée par un sentiment d'impuissance ou de toute-puissance, où l'autre est, soit vécu comme un ennemi qu'il faut détruire, soit réduit à un objet que l'on peut utiliser à sa guise. »
Rapprocher les mots sexe et violence, afficher l'idée que, en matière de sexe, « un peu de violence ne nuit pas » revient à faire « un peu » l'apologie de violences sexuelles. Celles-ci, qui portent atteinte à l'intégrité physique et morale d'une personne, sont un délit ou un crime.
Je vous rappelle qu'en France, selon le rapport d'Amnesty International (éd. Autrement, 2006), des actes graves de violence conjugale masculine sont commis contre une femme sur dix.
C'est dans cette France-là, où une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari ou compagnon, actuel ou ancien, que vous avez choisi de diffuser largement dans la rue ces mots « cahier sexe : un peu de violence ne nuit pas ». Trop de personnes se résignent à la violence comme si elle était naturelle ou inévitable, et vous, vous l'affichez comme souhaitable !
Avec le réseau "Encore féministes !" (2 745 personnes et associations, dans 42 pays), je vous demande de revenir sur ce sujet important dans un prochain numéro.
Florence Montreynaud
Je vous suggère d'adresser cette lettre (en reprenant ce texte ou en utilisant d'autres arguments) au directeur du magazine Psychologies 29 rue de Lisbonne, 75008 Paris.
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Voici des lettres envoyées par des membres de notre réseau (parfois il s'agit seulement de la partie qui diffère de la lettre ci-dessus adressée au nom de l'ensemble du réseau)
Madame, Monsieur,
J'apprécie votre magazine, que j'achète de temps en temps. Mais ce mois d'octobre, je l'ai « boycotté » en raison du titre « Sexe : un peu de violence ne nuit pas ». Je me doute que vous ne faites pas, dans vos articles, l'apologie du viol. Mais je trouve irresponsable d'étaler une telle affirmation qui va être lue, sans nuances, sans explication, par des milliers de personnes. Trop d'hommes croient que les femmes aiment être violentées dans les rapports sexuels, et ce dans toutes les couches de la population. Cela correspond à un fantasme très répandu. Même certaines femmes croient que la contrainte pourrait peut-être leur procurer des sensations fortes qu'elles ne connaissent pas dans un rapport sexuel « classique », et évoquent de telles images dans leurs fantasmes. Ceci leur permet d'échapper à la culpabilité liée à la sexualité, une explication que j'ai d'ailleurs peut-être lue dans un de vos articles il y a quelques années. Mais cela ne veut pas dire que les femmes souhaitent réellement être forcées ! Comment pouvez-vous préconiser un tel rapport malsain entre deux êtres humains ? Car c'est bien ce que l'on retient en lisant ce titre.
Karine Launay
La démagogie ambiante se concentre sur la violence dans les banlieues où là rien ne serait toléré. Dans le même temps vous faites du contrepoint en ce qui concerne les relations sexuelles ! On sent la patte finaude d'un conseil en communication qui hume l'air du temps pour déterminer l'angle d'un numéro à venir. Je vous conseille pour un prochain numéro une titrage du genre « faire la bombe à Pyong Yang » ou bien « à Rome, l'amour en latin se porte à nouveau bien »
Acheteur occasionnel de votre revue, travailleur social et thérapeute, j'ai la chance de faire de l'enseignement et de m'occuper de centres de documentation dans le secteur social/psy/éducatif, en général consommateur de votre revue. Je vais donc relayer abondamment ces remarques et faire une détestable publicité à vos méthodes éditoriales qui se rapprochent plus des accroches de la presse torchon que d'un magazine qui se présente comme une référence. A ce rythme vous finirez chez Cauet ou Ardisson, à parler de l'inconscient, devant un parterre de « cocogirls » avec Lafesse comme expert et Bigard en spécialiste du contre-transfert !
Avec le réseau "Encore féministes !" (2 745 personnes et associations, dans 42 pays), je vous demande de revenir sur ce sujet important dans un prochain numéro. Il n'y a aucune honte à dire qu'on s'est trompé et que la polysémie du langage a aveuglé votre compréhension de votre propre discours. Le service « com » ne doit pas déformer ce que contient un article de la rédaction, sous peine de détacher la forme du fond, de tromper le passant, le lecteur.
J'espère que vous aurez cette faculté. Sinon, vous trouverez toujours des gens pour ne pas laisser passer ces dérives et pour organiser la sanction économique contre vous : ce sont là les délices (paraît-il) du libéralisme économique. Le libéralisme des pulsions, c'est par contre la barbarie et la mort.
Denis RESERBAT-PLANTEY
Monsieur ,
Vous avez choisi de mettre en couverture du numéro d'octobre de Psychologies ces mots : « cahier sexe : un peu de violence ne nuit pas ». Ce titre accrocheur et votre campagne massive de diffusion sur les parois des kiosques apporte une caution à cette idée bien trop répandue dans le grand public.
Les personnes de l'entourage ont déjà tendance à se retrancher derrière le cliché que « c'est une affaire privée » pour ne pas intervenir quand leurs voisins frappent « leur » femme ; certains et certaines pensent même qu'il y a des femmes qui aiment ça. Je l'ai entendu dire par ma mère quand j'étais petite !
Même si l'article de Flavia Mazelin Salvi s'intitule << Un peu de « violence » ne nuit pas >>, avec le mot violence mis à distance entre guillemets, et précise : << Pas de malentendu : nous ne faisons pas ici l'apologie de la brutalité en amour. >>, le poison a été instillé dans la tête de ceux qui ne le liront pas.
L'auteure précise que « La violence est toujours alimentée par un sentiment d'impuissance ou de toute-puissance, où l'autre est, soit vécu comme un ennemi qu'il faut détruire, soit réduit à un objet que l'on peut utiliser à sa guise. » Pense-t-elle qu'il suffirait à un macho de lire son article pour comprendre d'où vient sa « pulsion » et faire un effort pour la dominer ?
Je m'interroge sur les motivations profondes de cette publication. Il n'y a donc pas assez de violence ambiante ?
Un homme m'a giflée parce que je ne roulais pas assez vite à son gré sur un chemin étroit. Il doit se sentir encouragé par la police qui ne le recherche pas malgré un dépôt de plainte mentionnant son numéro d'immatriculation.
Je vous rappelle qu'en France, selon le rapport d'Amnesty International (éd. Autrement, 2006), des actes graves de violence conjugale masculine sont commis contre une femme sur dix et une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari ou compagnon.
Rapprocher les mots sexe et violence, afficher l'idée que, en matière de sexe, « un peu de violence ne nuit pas » ( c'est donc bon !? ) revient à faire « un peu » (beaucoup trop) l'apologie de violences sexuelles. Celles-ci, qui portent atteinte à l'intégrité physique et morale d'une personne, sont un délit ou un crime.
C'est pourquoi je vous demande instamment de mettre en gros sur la une de votre prochain numéro un démenti sans ambiguité.
Eliane Crouzet, Nîmes
Peut-être serait-il en outre intéressant de vous interroger sur ce résiduel de violence (sans brutalité of course) que vous prônez en matière de sexe. Il ne vous vient donc jamais à l'esprit que le sexe est aussi pratiqué sans viol-ence par nombre de gens qui n'ont nul besoin de cet ingrédient du rapport dominant-dominée classique ? Ce que je vous reproche c'est votre façon de généraliser une approche du sexe qui n'est celle que de quelques personnes, en faisant croire qu'elle est valable pour tout le monde.
Hors hexagone, en Australie par exemple un mufti explique que la chair à l'air, c'est comme de la viande non recouverte qui attise l'appêtit des chats, et que le voile et rester chez soi s'imposent donc aux femmes si elles ne veulent pas être violées.
Un peu de viols, voire beaucoup vont-ils redevenir souhaitables ? Eh oui, à des degrés divers la violence contre les femmes (mais pas seulement contre elles) est dans l'air du temps, et en généralisant vous choisissez de l'accompagner.
Catherine Deudon.
Toute violence est nuisible, dangereuse et exécrable.
Monsieur le directeur,
Dans votre revue qui a une certaine réputation de sérieux, d'éthique et de cohérence en matière de sciences humaines, vous laissez planer le doute quant à une légitimation de la violence, fût-elle minime, fût-elle de séduction ou de jeux amoureux.
Les jeux de l'amour, des pratiques sexuelles librement consenties, les tabous qui tombent et les chaînes qu'on installe, le sexe fait vendre, et se vend bien.
La violence dans le sexe est aussi un marché. Si quelques-uns en dissertent intellectuellement, d'autres le vivent dans leur chair. Il faut le crier bien haut. Combien de victimes ? Combien de corps bafoués et meurtris ? Combien d'identités détruites ? Et vous savez comme moi que dans ces jeux de l'amour, les sacrifiés sont quasi toujours des femmes et des enfants. Qui parlera de nos responsabilités de mâles dans ces libertinages ?
Les affaires du sexe sont des affaires de relation. Laisser la porte ouverte à une possibilité de violence, c'est vouloir y imposer le pouvoir et ses abus. Et c'est bien là une misère du monde. Ça me laisse songeur, déçu et fâché que votre revue y ait participé.
Vous avez sans aucun doute la possibilité de rattraper le coup. D'autres numéros de Psychologies pourront parler de la violence, insidieuse dans les relations humaines, source de profit pour le commerce international, établie lentement comme norme.
Et puis je lirai volontiers des histoires de sexe, car j'aime la rencontre, le partage, et j'ai un faible pour l'amour.
Au travail, pour un peu plus d'équité, de sérénité, de respect.
Et faites donc pénitence !
Pierre-André Milhit, Sion, Valais Suisse
Madame, Monsieur,
Je viens de découvrir avec étonnement le titre de votre dossier sexualité, un peu de violence ne nuit pas.
J'ai bien pris note du fait que vous affirmiez ne pas faire l'apologie de la brutalité dans le sexe. Je ne peux néanmoins pas m'empêcher de réagir à ce titre que beaucoup de gens liront sans prendre connaissance de l'article dans ses détails ni de vous rappeler votre responsabilité éditoriale qui utilise le terme générique de « psychologie » qui est, je vous le rappelle, une science. Quels que soient les choix individuels de sexualité, y compris dans des pratiques sadomasochistes (qui relèvent d'un choix individuel) ce que l'on désigne généralement par « violence » ne peut que nuire à la personne qui en est victime.
Pour rappel, il est communément admis que la violence est un terme général employé pour décrire un comportement agressif, non amical, belligérant, ennemi, autrement dit une contrainte imposée, qui provoque la douleur, la peine.
A moins, que vous n'ayez inventé une nouvelle définition de ce terme, je me permets de vous conseiller de revenir sur le thème dans un de vos prochains numéros, à moins de faire passer votre périodique pour un magazine qui prône, sous le titre de psychologie, des déviances répertoriées par la psychiatrie moderne.
Patric Jean
Monsieur,
Vous avez choisi de mettre en couverture du numéro d'octobre de votre magazine « Psychologies » ces mots « Cahier sexe : un peu de violence ne nuit pas ».
Nous sommes tous deux membres d'Amnesty International qui mène actuellement une campagne « Halte à la violence contre les femmes ». Il est donc évident que nous oeuvrons pour des finalités opposées aux vôtres.
Vous pourrez objecter que la violence approuvée par le titre de votre magazine est une violence tempérée par la locution « un peu de ». Mais avez-vous les moyens de fournir un instrument de mesure permettant d'identifier clairement le point au delà duquel « un peu de » devient « trop de » ?
En conclusion, nous regrettons sincèrement qu'à une époque où l'on essaie par tous les moyens de lutter contre la violence, vous tendez à la justifier.
Avec l'expression de notre indignation :
Yvette et Louis Godin
Madame, Monsieur,
Lectrice occasionnelle de votre magazine, je me permets de vous faire part de ma profonde déception suite au titre complètement déplacé et irresponsable qui ornait la couverture du numéro d'octobre de votre magazine : "Sexe : un peu de violence ne nuit pas".
Bon sang, à quoi pensez-vous ?
Croyez-vous que tous ceux qui auront eu ce titre sous les yeux auront fait la part des choses et compris qu'il ne s'agissait pas d'une apologie de la violence ? Pensez-vous que tout le monde dans ce pays soit dégrossi et formé au second degré ? Par ce titre, vous vous adressez à des personnes intelligentes, sensées, analysées, etc. Mais ces personnes ne sont pas une majorité ! Qu'aura pensé le "pauvre type de base", pour qui violence = virilité, devant votre couverture ? Je vais vous le dire : "Eh ben j'ai pas tort de frapper ma femme ; et ce soir en plus j'aurais un argument pour moi : PSYCHOLOGIES MAGAZINE me donne raison".
Honnêtement, je ne sais pas ce qui vous est passé par la tête, et je souffre en pensant à ces femmes battues qui ont dû se prendre ce mois-ci quelques "extras" dans la figure à cause de ce titre complètement insensé.
Je suis dégoûtée et je crois que je n'achèterai plus votre magazine, dont la vraie motivation me semble désormais relever plus du profit (au prix des pires racolages) que de l'amélioration du bien-être psychologique des gens.
Avec mes regrets,
Alice RALLIER
« Sexe : un peu de violence ne nuit pas ». Voilà ce que pouvait lire le passant sur les affichettes de Psychologies magazine posées chez les diffuseurs de presse le mois dernier.
Ce message, largement étalé dans l'espace public, me semble terriblement grave, car il cautionne la violence à l'égard des femmes, fléau national français. Je vous rappelle que les enquêtes se suivent et se recoupent : en France, une femme sur dix a été victime de violences dites « conjugales » au cours de l'année écoulée ; environ un homme sur dix est donc violent à l'égard de sa compagne. A la fin de sa vie, une femme sur trois aura été victime de violences psychologiques, sexuelles, morales, physiques... Et, faute de statistiques (qui existent dans d'autres pays européens), nous ne savons pas, en France, combien de femmes meurent sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon chaque année. On retient le chiffre de 200 par an
mais il reste des milliers de chutes dans l'escalier et de défénestrations qui passent pour des accidents ou des suicides, dont certaines sont probablement imputables à des violences domestiques.
Le message « Sexe : un peu de violence ne nuit pas » est particulièrement dangereux pour les adolescents, dont la plupart ont « tout » appris de la sexualité par le biais de films pornographiques : les jeunes prennent les mises en scène, souvent violentes, au premier degré et considèrent cette violence comme « normale » ; au nom de la « norme », les garçons imposent des rapports violents que les filles ne peuvent pas toujours refuser. Cela aussi est un fléau de grande ampleur, que les infirmières scolaires, les éducateurs et certains enseignants commencent à découvrir.
Selon l'OMS, la violence domestique est la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans, avant la maladie et les accidents de voiture. Dans les rapports entre hommes et femmes, la violence est donc particulièrement nuisible. Et cette violence, selon les différentes enquêtes menées en France, s'exerce chez les personnes de toutes les tranches d'âge et de toutes les catégories socio-professionnelles. Même parmi les lecteurs de Psychologies magazine, des hommes sont violents avec leur compagne
et pourront aller jusqu'à la tuer.
Les médias, en minimisant cette violence, voire en la prônant, sont complices. C'est pourquoi je vous suggère de vous démarquer, et de faire un dossier sur la gravité de la violence à l'égard des femmes
affichettes chez les diffuseurs de presse à l'appui.
Sylvie Debras
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Nous avons écrit en nombre au directeur de Psychologies magazine.
Nous avons été entendu-es.
Voici la réponse que j'ai reçue, en tant que responsable de notre réseau.
Paris, le 9 novembre 2006,
Madame,
Comment pouvez-vous imaginer que nous fassions dans nos pages l'apologie des hommes violents ?
Nous avons d'ailleurs en plusieurs occasions traité abondamment de ce sujet en dénonçant avec vigueur la violence des hommes contre les femmes.
Mais puisqu'il vous a choqué, c'est que ce titre pouvait prêter à confusion. Nous aurions dû l'atténuer par des guillemets, ce qui a été fait à l'intérieur des pages.
Nous traiterons bien sûr à nouveau, dans un prochain numéro, de la violence conjugale qui concerne, comme vous le rappelez, un nombre impressionnant de femmes en France.
Merci de votre vigilance.
Jean-Louis Servan-Schreiber
Même si la violence associée au sexe n'est pas plus acceptable avec des guillemets, cette nouvelle est plutôt bonne. Cela montre l'efficacité d'une réaction écrite.
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