Encore feministes !

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action n°33 - avril 2006
Sohane brûlée vive : solidarité féministe

 


18 septembre 2006 : procès civil

Sohane Benziane brûlée vive : un crime sexiste.

Cinq mois après avoir été condamné à vingt-cinq ans de prison pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner », Jamal Derrar a été condamné le 18 septembre 2006 par la cour d'assises du Val-de-Marne, lors d'un procès civil, à verser 190 000 euros aux membres de la famille de la victime, et 1 euro symbolique à deux associations de défense des droits des femmes.

Voici un texte d'Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, et membre de notre réseau "Encore féministes !"

<< Pour la première fois en France des associations de défense du droit des femmes réussissent faire reconnaitre la dimension sexiste d'un crime de barbarie à l'encontre d'une femme et leur constitution en tant que partie civile est considérée comme recevable et bien fondée
La Cour d'assises de Créteil examinait le lundi 18 septembre les demandes en indemnisation des parties civiles et la recevabilité de la constitutions de partie civile des associations La Ligue des droits des femmes et La Ligue du droit international des femmes.
L'audience civile faisait suite au procès qui s'était déroulé du 31 mars au 7 avril 2006 et qui s'était conclu par la condamnation à 25 ans de prison pour crime de torture et de barbarie commis sur Sohane, morte brûlée vive le 4 octobre 2002 à Vitry sur Seine, pour l 'auteur principal des faits, Jamal Derrar et à 8 ans pour son complice Tony (ce dernier a fait appel de l'arrêt).
La Cour a considéré comme recevable et bien fondée la constitution de partie civile des deux associations en reconnaissant la dimension sexiste du crime commis par Jamal Derrar avec la complicité de Tony Rocca. La Cour a relevé comme éléments sexistes l'interdiction faite à Sohane d'avoir accès à la cité et la punition qui lui a été infligée devant des témoins exclusivement féminins.
Il est à souligner que les débats ont été remarquablement menés par la présidente, Janine Drai. Il faut également noter que l'Avocat Général J.-P. Contant a mis en évidence, dans son réquisitoire, ainsi que dans son intervention lors de l'audience civile, le caractère éminemment sexiste des faits reprochés à Jamal Derrar et à Tony Rocca.
Les associations étaient représentées par Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes et fondatrice, avec Simone de Beauvoir, des deux associations, ainsi que par leur avocate, Me Linda Weil-Curiel. >>

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14 avril 2006. L'avocat de Jamal Derrar a annoncé que celui-ci ne ferait pas appel de sa condamnation, qui devient donc définitive.

Selon Annie Sugier, présidente de la Ligue internationale du droit des femmes, ce procès a été d'autant plus important par son exemplarité que, pour la première fois, un tel crime a été reconnu comme sexiste.

11 avril. Pour que cesse la haine contre les femmes !

Voici une lettre ouverte adressée au père du jeune homme condamné pour la mort de Sohane Benziane. Son adresse a été répétée tout au long du procès : M. Derrar, cité Balzac, bâtiment H, 94400 Vitry sur Seine, France

Je vous propose de reprendre cette lettre, ou de vous en inspirer, et d'écrire vous-même à cet homme.
Le féminisme est porteur d'un message d'espoir et de paix. À nous de le diffuser, pour que cessent ces haines meurtrières envers les femmes !


LETTRE OUVERTE au père de Jamal Derrar

Monsieur,

Votre fils est en prison depuis trois ans et demi ; sa condamnation à vingt-cinq ans de réclusion criminelle a dû être une grande souffrance pour vous et pour votre famille.

Des journalistes rapportent que, sortant de la salle du procès après le verdict, vous avez lancé aux amies de la victime : « Il y en a qui sont enfermés et il y en a qui sont dehors. Vous allez toutes payer ! » (Journal du dimanche, 9 avril 2006 ; Libération, 10 avril 2006). À qui adressiez-vous cette menace ? Aux deux jeunes filles qui ont témoigné au procès en décrivant dans quelles circonstances votre fils a provoqué la mort de leur amie Sohane Benziane ? Ou bien à toutes les femmes parce qu'elles sont des femmes ?

Ce n'est pas à cause des témoignages des amies de la victime que votre fils a été condamné, mais parce qu'il a commis un crime et que la justice l'a puni, estimant qu'il devait assumer ses actes. Vous-même, en tant que père, vous pouvez l'aider à prendre conscience de l'extrême gravité de ce qu'il a fait : tuer.

Une jeune fille de 17 ans est morte dans d'atroces souffrances. Votre fils s'en était pris à elle parce qu'elle était de sexe féminin : cela s'appelle un crime sexiste.

Nous, féministes, nous travaillons à un monde de paix et d'égalité entre femmes et hommes, à un monde de liberté et de justice pour tous. Nous voulons l'arrêt de cette spirale de haine et de violences que des propos comme les vôtres entretiennent. S'il est bien exact que vous avez proféré une telle menace, sans doute n'avez-vous pas mesuré, sous le choc de l'émotion, l'impact que pouvaient avoir vos paroles.

Vous n'aiderez pas votre fils si vous continuez à rejeter sa faute sur la victime, sur ses amies, ou sur toute autre personne.

Si les témoins venaient à subir la moindre violence, vos propos vous en rendraient moralement responsable, parce que la violence des mots encourage dans l'esprit des plus faibles la violence des actes.

Florence Montreynaud, avec le réseau "Encore féministes !"

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7 avril 2006. La cour d'assises du Val-de-Marne a condamné Jamal Derrar, meurtrier de Sohane Benziane, 17 ans, qu'il a brûlée vive le 4 octobre 2002, à 25 ans de réclusion criminelle, et son complice Tony Rocca à 8 ans : c'est ce qu'avait demandé l'avocat général.

Le collectif Solidarité féministe s'est constitué à l'occasion du procès, pour rappeler que le meurtre de Sohane est un crime sexiste, qui aurait pu avoir lieu dans tout autre milieu social ou culturel.

Nous étions une cinquantaine le 6 avril, entre 18h et 20h, aux abords du Palais de Justice de Créteil, reconnaissables à nos écharpes ou brassards violets.
Nous portions des autocollants avec ces mots : « À Sohane… à toutes », « Partout le patriarcat tue », « Partout le machisme tue » ou « Partout le sexisme tue ». Nous avons témoigné notre soutien solidaire à la famille et aux proches de Sohane Benziane. Nous avons lu notre communiqué et déposé des fleurs.

Vous pouvez voir ici des photos du rassemblement, dues à Romy Duhem-Verdière.

Communiqué du collectif Solidarité Féministe lu lors du rassemblement.
Nous sommes aujourd'hui présent-e-s en mémoire de Sohane Benziane et pour apporter notre soutien à sa famille, à ses proches et aux témoins qui subissent un climat d'hostilité et de pressions.
Nous tenons ensuite à mettre en évidence la dimension sexiste de l'agression qu'a subie Sohane Benziane et qui lui a coûté la vie.
Présent-e-s aussi pour dénoncer une mentalité et un système complaisants vis à vis des violences faites aux femmes, opprimées parce que femmes, dans tous les milieux, toutes les classes, toutes les cultures… Partout.
Parmi ces violences quotidiennes, le contrôle de la libre circulation des femmes. Les gouvernements imposent des frontières, des hommes délimitent des territoires interdits aux femmes. Nous refusons que les dominants choisissent qui circule et comment.
Nous sommes touché-e-s par le décès de Sohane Benziane et révolté-e-s par ce crime. Il ne peut que nous rappeler l'Histoire collective des femmes victimes du sexisme ordinaire ; nous refusons d'être contraintes de vivre avec ou d'en mourir
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AFP, 7 avril 2006
Des femmes d'un collectif organisé à l'occasion de ce procès, baptisé "Solidarité féministe", se sont réunies vendredi en fin de journée devant le tribunal de Créteil "pour mettre en évidence la dimension sexiste de l'agression qu'a subie Sohane et qui lui acoûté la vie".

Le Parisien, 8 avril 2006
"Hier soir vers 18 heures, un rassemblement du collectif Solidarité féministe s'est tenu pendant le délibéré, devant le palais de justice , en mémoire de Sohane."

Libération du 10 avril 2006 évoque « une poignée de féministes, venues déposer des fleurs devant le palais de justice sous une banderole : A Sohane, à toutes. » En réalité, nous étions une cinquantaine.

Dans Le Parisien, 10 avril 2006, interview de Sandrine Bourret, présidente du collectif Féminin-Masculin de Vitry-sur-Seine, par Julien Duffé

<< Après la mort de Sohane, 17 ans, en octobre 2002, Sandrine Bourret, professeur de philosophie au lycée Jean-Macé de Vitry (Val-de-Marne), a créé avec plusieurs de ses collègues le collectif Féminin-Masculin. Depuis, cette association se bat pour faire avancer l'égalité entre hommes et femmes à travers un atelier théâtre, des débats, des projections de films et en animant chaque semaine un lieu d'écoute. Citée devant la cour d'assises comme témoin par la Ligue internationale du droit des femmes, Sandrine Bourret a voulu briser un tabou : celui des violences sexistes, dans les cités comme dans le reste de la société. Au lendemain du verdict qui a vu Jamal Derrar, le meurtrier de Sohane, condamné à vingt-cinq ans de prison, elle revient sur le procès.

Selon vous, ce procès va-t-il changer les choses ?
On espère au moins que cela a contribué à faire prendre conscience à la population de la gravité des violences faites aux femmes. Mais le chemin est encore long. Changer les mentalités est chose difficile. Une loi-cadre serait nécessaire pour identifier les violences sexistes comme spécifiques. Par exemple, cela permettrait d'éloigner le mari violent et d'aider les femmes victimes : faciliter leur relogement, prévoir une allocation pour les femmes dépendantes financièrement. Il faudrait aussi permettre aux hommes violents de se soigner.

Comment avez-vous vécu ce procès ?
La mort de Sohane avait été un choc terrible. Le procès nous a percutés une deuxième fois en nous replongeant dans l'atmosphère de l'époque. Les débats ont été extrêmement lourds. Et lorsque je me suis exprimée devant la cour d'assises, j'ai ressenti une responsabilité écrasante. Si nous n'étions pas arrivés à faire comprendre la dimension sexiste du drame à un jury majoritairement masculin, cela aurait été dramatique. Mais la constitution de partie civile de la Ligue internationale du droit des femmes a été jugée recevable par la cour. Dans ses réquisitions, l'avocat général a qualifié le crime de sexiste. Notre message a été entendu.

Comment êtes-vous parvenus à faire passer ce message ?
Participer à ce procès n'a pas été une évidence étant donné que nous n'avons pas été témoin des faits. Mais nous avions entendu trop de choses au lycée après la mort de Sohane, notamment de la part des filles, pour rester silencieux. Des réactions, minoritaires mais affirmées, qui montrent à quel point le problème des relations filles-garçons est crucial. Il y a d'abord eu la banalisation : « C'est un accident. » On l'a entendu des dizaines de fois. Le revirement de la relation victime-coupable ensuite : « Elle l'a bien cherché. » Enfin, le fatalisme : « De toute façon, ça a toujours existé, ça ne changera jamais. » Quand des filles commencent à dire que ce n'est pas normal de porter une jupe, de sortir tard le soir, qu'elles ne s'autorisent pas ces écarts sous peine d'insultes, on mesure combien elles ont intériorisé ces normes. Le procès a d'ailleurs fait apparaître que Sohane était régulièrement battue par Derrar.

En quoi le meurtre de Sohane était-il sexiste ?
On s'en est pris à une femme parce qu'elle était femme. Evidemment toutes les violences sont condamnables. Mais lorsque les hommes sont victimes, c'est en tant qu'individus. Les violences faites aux femmes, on les subit plus gravement. C'est la même logique que pour les violences racistes, sauf que les gens ont beaucoup plus de mal à le comprendre. Peut-être parce que cela renvoie chacun à sa vie personnelle. D'ailleurs, les violences sexistes ne sont pas spécifiques aux cités. Certes, il ne faut pas nier les problèmes sociaux, l'enfermement de l'habitat des cités. Mais il faut replacer ces violences dans le cadre général des discriminations qui traversent la société : les inégalités de salaires ou dans la répartition des tâches, le patriarcat... C'est d'ailleurs en faisant ce détour par la société qu'on arrive à une prise de conscience du problème de la part des jeunes.

Que vous inspire le verdict ?
Une peine très faible aurait été d'une complaisance terrible. Il fallait que le message passe. Car si on n'identifie pas les crimes sexistes dans leur spécificité, comment les combattre ?

Dans la dépêche de l'AFP, annonçant le verdict, il n'est pas précisé si la cour a retenu la notion de crime sexiste.

Selon Libération du 8 avril : « L'avocat général, Jean-Paul Content, a souligné dans son réquisitoire la ''dimension sexiste'' : ''La mort de Sohane est devenue le symbole de la violence la plus extrême faite aux femmes, et Sohane, l'icône de la fille qui veut vivre sa liberté sans se plier à la loi que veulent leur imposer certains garçons.'' »

Le condamné a dix jours pour faire appel. C'est seulement à l'expiration de ce délai que seront connus les termes du jugement.

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J'ai assisté le 5 avril à l'audition de Monia Boukeroui, l'une des deux jeunes filles, amies de Sohane, qui avaient été convoquées par Jamal Derrar dans le local à poubelles pour assister au « truc de ouf » qu'il avait annoncé.

Voici quelques notes, où j'insiste sur des points confirmant selon moi l'aspect sexiste du crime : or, la Ligue internationale du droit des femmes, qui accompagne la famille de la victime depuis le début et qui a, après des mois de négociations, obtenu l'ajout des mots « morte brûlée vive » sur la plaque commémorant le meurtre, s'est vue lors de l'ouverture du procès contestée dans sa demande d'être partie civile.

Monia Boukeroui parle de manière déterminée et précise. En réponse à la présidente du tribunal, Janine Drai (remarquable tout au long des débats), elle affirme ne pas avoir peur de représailles : « Ce serait déjà fait », dit-elle. On peut cependant craindre pour cette jeune femme courageuse quand le verdict sera connu.
C'est sur son témoignage (et sur celui de l'autre témoin oculaire), que repose la relation du crime qui dément la pitoyable défense de l'accusé. Outre qu'il s'est inventé une relation amoureuse avec la victime, voilà qu'il prétend avoir trouvé par hasard de l'essence dans le local !

Pendant toute l'audition, il garde la tête baissée, ainsi que son complice. Ces hommes, ces machistes, ne sont forts que de notre faiblesse.

Monia Boukeroui explique que Jamal Derrar avait « la rage contre Sohane ». Après avoir été bafoué publiquement par Issa (le petit ami de Sohane), qui s'était révélé plus fort que lui, « il s'en est pris à Sohane » : « Ça a été son exutoire ». Il lui a interdit de venir à la cité Balzac. Il a mijoté un « truc de ouf », dont il a prévenu son entourage.
Le jour du meurtre, il a dit à Sohane : « Suis-moi, ou je te nique sur place ». Elle l'a suivi, terrifiée, jusqu'au bâtiment H. Il lui a dit d'attendre dans le local à poubelles pendant qu'il allait chercher ses copines à elle, pour qu'elles assistent à ce qu'il allait faire.
L'avocat de l'accusé demande à la témoin pourquoi elle et Sohane ne sont pas sorties du local, pendant qu'elles y étaient seules, l'accusé étant allé chercher la deuxième copine. La témoin répond que des copains de l'accusé étaient derrière la porte ; elle, elle aurait sans doute pu sortir, mais Sohane ne pouvait même pas envisager cette résistance, vu la très forte contrainte psychologique qu'elle subissait. Elle s'étonne de cette question dans un tel contexte de terreur.
Elles ont donc attendu ensemble ; elles s'imaginaient que l'accusé allait battre Sohane. Au cours des mois précédents, il l'avait déjà « tapée » pour se venger de l'humiliation infligée par Issa. Elles ont pensé que ce serait une correction plus forte. Il avait dit à plusieurs reprises qu'il voulait « lui faire une peur bleue ».
« Tu me prends pour un con, tu me prends pour un pédé ! », a-t-il crié à Sohane, avant d'enflammer l'essence qu'il avait répandue sur la tête de sa victime. La suite - une mort atroce - vous est connue, mais j'insiste sur ces phrases typiquement machistes.

Après cette audition, je suis allée assurer la sœur de la victime, Kahina Benziane, de notre solidarité féministe, et je lui ai annoncé notre rassemblement du 7 avril, devant le tribunal. Elle m'a chargée de transmettre ses remerciements pour notre soutien.

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Le 5, nous nous sommes réuni-es à une vingtaine de féministes. Nous nous sommes constitu-ées en collectif nommé Solidarité féministe, et nous appelons le 7, entre 18h et 20h, à un rassemblement devant le Tribunal.
Le climat d'hostilité à la famille et aux proches de la victime se traduit par la présence majoritaire, dans le public, de personnes soutenant l'accusé. D'où l'importance d'affirmer notre solidarité féministe par notre présence calme et silencieuse. Nous porterons des autocollants avec ces mots : « À Sohane… à toutes », « Partout le patriarcat tue », « Partout le machisme tue » ou « Partout le sexisme tue ».
Notre soutien sera aussi visible grâce à une écharpe mauve ou à notre ruban blanc, qui signifie « Je suis engagé-e contre la violence machiste. » (voir son histoire). Nous déposerons des fleurs devant le Tribunal, avec un ruban portant ces mots : « À Sohane… à toutes ».
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Florence Montreynaud

À la mémoire de Sohane Benziane, victime d'un crime sexiste.
Le réseau"Encore féministes !" a participé à des marches à Vitry-sur-Seine et au rassemblement ci-dessous.

à l'appel de la Coordination Féministe et Laïque (CFL), nous avons participé à un rassemblement le 4 octobre 2004
Voici le message de la CFL :
<< Il y a bientôt deux ans Sohane mourait brûlée vive
Le 4 octobre 2002, Sohane (17 ans) mourait brûlée vive à Vitry sur Seine parce qu'un jeune caïd en avait décidé ainsi. Le lundi 4 octobre 2004, la Coordination Féministe et Laïque organise un rassemblement à partir de 18h, place Sartre-Beauvoir, bd Saint Germain (métro St Germain des Prés), Une plaque commémorative sur laquelle figurent les mots " brûlée vive " - plaque que la mairie de Vitry refuse d'apposer pour ne pas semer le trouble dans la population de la cité - sera exposée sous une banderole portant cette inscription : « à la mémoire de Sohane, brûlée vive à Vitry sur Seine le 4 octobre 2002 »
Nous allumerons des bougies autour de cette plaque. Nous pourrons poser également des fleurs (blanches si possible)
Cette manifestation doit être une réussite. Pour la mémoire de Sohane, pour ne pas oublier Samira Bellil, pour soutenir toutes celles qui se battent au quotidien contre le machisme, pour toutes celles qui résistent aux lois des petits caïds des cités. >>

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Voici un texte d'une grande force, sur le meurtre de Sohane, brûlée vive il y a deux ans dans une cité de la banlieue parisienne, et sur le refus des pouvoirs publics français de voir reconnues les circonstances de ce crime.

<< Morte brûlée vive

Par Annie Sugier, Présidente de la Ligue Internationale du droit des femmes et Alice Coffin, membre de la Coordination Féministe et Laïque

Un électrochoc, une prise de conscience, un symbole. Lorsque Sohane Benziane, est morte brûlée vive, il y a deux ans, les mots n'ont pas manqué pour dire que cet acte barbare avait, par son atrocité, révélé le sort réservé aux filles dans certaines cités. Il avait donc fallu qu'une jeune fille de 17 ans soit aspergée d'essence dans un local à poubelles par un petit caïd de banlieue pour que la loi du silence soit rompue.
Pourtant, au moment du drame lui-même, aucune personnalité politique, intellectuelle, ou de la société civile n'a marqué explicitement sa solidarité avec Sohane et sa famille. N'est-ce pas toujours le même doute qui s'introduit lorsqu'une femme est assassinée : est-ce qu'il ne s'agirait pas d'une affaire privée ? N'est-ce pas une relation amoureuse qui a mal tourné ? Cette version était sûrement plus confortable, mais elle était fausse. Il a fallu que les faits parlent d'eux-mêmes, il a fallu attendre que la dénonciation des violences machistes au quotidien donne enfin une dimension politique à cet assassinat.
Car, il est vrai que, depuis ce 4 octobre 2002, les langues se sont déliées, les actions se sont multipliées et les médias se sont préoccupés de cette tragique situation.
Pourtant, rien n'a changé. Rien n'a changé parce que ce même silence coupable des autorités municipales, et nationales, continue.
L'histoire de la plaque dédiée à la mémoire de Sohane en est le triste exemple.

Une première plaque commémorative avait été déposée à la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine, où habitait Sohane. Elle a été souillée et fracassée à plusieurs reprises, et régulièrement remplacée. Jamais cette plaque n'a porté la mention « morte brûlée vive ». Jamais la municipalité de Vitry-sur-Seine, ville où Sohane a grandi et a été assassinée, n'a accepté que ces trois mots-là y figurent. Motif ? Ne pas stigmatiser une population déjà suffisamment choquée par le drame ! Décidément, rien ne change. Pendant des années on a voulu taire ce qui se passait dans certaines cités, pour, disait-on, « préserver la paix sociale ». Les conséquences tragiques de cette attitude ont été illustrées de la plus horrible des manières. Et, pourtant, cela continue. On persiste à ne pas vouloir dire, nommer, la réalité. Oui, Sohane, est morte brûlée vive. Non, Sohane n'est pas la victime d'un accident, d'un crime passionnel comme cela a souvent été dit à tort. Sohane est morte en martyre. Et ce n'est pas en gommant cette réalité que les choses changeront.

Pourquoi précise-t-on sur les plaques dédiées aux Résistants qu'ils sont « morts fusillés », sur les plaques dédiées aux enfants juifs qu'il s sont « morts en déportation », sur celles dédiées aux soldats qu'ils sont « morts au champ d'honneur » ? Parce que c'est seulement à travers la reconnaissance des crimes qu'une mémoire collective peut se construire et éviter que de tels actes se reproduisent. Est-ce qu'encore une fois, les violences extrêmes subies par les femmes doivent, elles, demeurées cachées, tues, confinées à la sphère privée ?
A l'initiative de la sœur aînée de Sohane, Kahina Benziane, la Ligue du droit des Femmes a fait faire une nouvelle plaque, où figurent ces mots visiblement inacceptables pour les autorités politiques de ce pays. Provisoirement déposée sur la tombe de Simone de Beauvoir au cimetière Montparnasse, elle est depuis quelque temps entreposée dans un coffre de voiture, car personne n'en veut. Ce lundi 4 octobre 2004, un rassemblement est prévu autour de cette plaque, place Sartre et Beauvoir à Saint-Germain des Prés, à Paris. Après, elle repartira, en voiture. En attendant que les pouvoirs publics veuillent bien lui trouver un lieu. Ce mépris pour la mémoire de Sohane, qui est pourtant devenue le symbole de la résistance spontanée des jeunes filles de banlieue, est une honte. Cette indifférence ne peut qu'engendrer la crainte que d'autres jeunes filles connaissent le même sort que Sohane, morte brûlée vive. >>