Encore feministes !

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Marie Trintignant (1962-2003)

 

Pourquoi les femmes tombent-elles si souvent ?
30 juillet 2003

« Une femme, poussée par son ami lors d'une violente querelle, tombe par terre et se cogne la tête. » C'est ainsi que les médias présentent ce qui est arrivé à l'actrice Marie Trintignant le 27 juillet. Est-elle tombée dans le coma à la suite d'un geste maladroit de son compagnon, le chanteur Bertrand Cantat, pendant une dispute d'amoureux ? A-t-elle été victime d'un manque d'équilibre typiquement féminin ? Tant de femmes disent qu'elles sont tombées dans l'escalier pour expliquer des bleus suspects !

« Dans l'entourage du chanteur, on ne désespère pas de voir triompher la thèse de l'accident », écrit le quotidien belge La Dernière Heure (30 juillet 2003). Quelle que soit la « thèse » qui « triomphera », rappelons que chaque année des centaines de femmes, en Espagne, et aussi en France ou au Québec, sont tuées par un mal qu'il faut appeler par son nom : la violence conjugale masculine.

Dans un foyer sur dix des pays occidentaux, comme le confirment de nombreuses enquêtes scientifiques, l'homme commet des actes de violence grave sur sa compagne. La moitié des meurtres de femme sont le fait de leur conjoint ou ex-conjoint.

Il faut nommer ces actes pour ce qu'ils sont : une violence inadmissible.


Florence Montreynaud

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Que Marie Trintignant ne soit pas morte pour rien !
2 août 2003

Marie Trintignant est morte hier.
Qu'elle ne soit pas morte pour rien !

Qu'on cesse de qualifier sa mort de tragédie, comme si c'était un effet de la fatalité !

Qu'au-delà de la tristesse, de la douleur, du deuil nécessaire, on remonte aux sources, aux causes, à l'origine du mal. De ce mal qui en France tue une femme tous les cinq jours, qui blesse grièvement, dans leur corps ou dans leur esprit, deux millions de femmes en France, soit une femme adulte sur dix. (Les enquêtes apportent des données comparables pour les autres pays occidentaux.) Et combien de millions d'enfants, témoins ayant parfois cherché à s'interposer, marqués à vie par ce qu'ils et elles ont vu, entendu, ressenti !

Qu'on cesse de blâmer les victimes, de chercher ce qui dans leur passé ou dans leur comportement, peut expliquer l'acte violent. Comme si un acte de destruction pouvait être justifié. Comme s'il avait des causes logiques. Comme s'il y avait la moindre raison valable pour que quelqu'un lève la main sur plus faible que lui.

Qu'on cesse de s'étonner que les victimes aient « mal » résisté, qu'elles ne se soient pas assez défendues. Comme si le problème était en elles. Comme si elles avaient désiré souffrir ou mourir. Comme si elles avaient eu tort de faire confiance à un homme qui disait les aimer.

Qu'on cesse de s'étonner que des hommes bien sous tous rapports puissent AUSSI être des hommes violents. Comme si certains milieux, certaines familles, certains métiers pouvaient être épargnés par la violence. Comme si un homme ne pouvait pas être violent ET souffrir de l'être ; avoir des remords, promettre de ne plus recommencer et craquer de nouveau.

Qu'on cesse de chercher des excuses dans l'absorption d'alcool ou d'autres drogues. Tous les violents ne boivent pas, tous les alcooliques ne battent pas. La drogue peut faciliter le passage à l'acte, elle n'en est pas la cause.

La cause a un nom : la violence masculine. La violence de certains hommes. Une violence liée à la virilité traditionnelle, à la culture machiste. Boire trop, conduire trop vite, chercher à être le plus fort, vouloir prouver qu'on est fort, frapper, cogner, tuer : quels ravages fait cette virilité !

En France, deux millions d'hommes battent leur compagne ou ex-compagne. Dans un pays si fier de sa tradition de galanterie, un homme sur dix commet des violences graves. Tous les cinq jours en France, un homme tue celle qu'il considère comme « sa » femme.

Marie Trintignant est morte hier. À qui le tour ?

Arrêtons le carnage ! Apprenons aux hommes et aux garçons à maîtriser leur violence ! Disons et répétons que la violence n'est jamais une solution. La violence est le problème.

Florence Montreynaud

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5 août 2003

Le réseau "Encore féministes !" participera aux obsèques de Marie Trintignant. Nous porterons le ruban blanc qui signifie : « Je suis engagé-e contre la violence machiste et pour la paix entre les êtres humains. »
De cette manière, nous témoignerons silencieusement de notre tristesse, de la part que nous prenons à la douleur de la famille, ainsi que de notre solidarité avec toutes les femmes victimes d'un compagnon violent.

Au même moment, à Bruxelles, des membres belges du réseau "Encore féministes !" invitent à se retrouver devant la statue de Gabrielle Petit, place St-Jean. Ils et elles arboreront un ruban blanc et déposeront chacun-e une rose blanche au pied de la statue.
Cette cérémonie préludera à la Marche contre toutes les formes de violence contre des femmes qui aura lieu le 22 novembre 2003 dans les rues de Bruxelles.

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6 août 2003

Marie Trintignant a été battue à mort. Elle était une femme, une actrice, et aussi une féministe, fille de parents féministes.
Depuis quelques jours, la violence conjugale a deux visages, celui d'une femme et d'un homme célèbres qui vont personnifier pour longtemps la victime et l'agresseur. Pourra-t-on désormais nier la réalité et l'ampleur des violences conjugales ? Cessera-t-on d'attribuer à la passion amoureuse ce qui relève de la haine ? Espérons qu'un mur ait été brisé, celui derrière lequel tant de femmes ont hurlé sans être entendues !

Marie Trintignant avait incarné Victoire, dans un téléfilm réalisé par sa mère et sous-titré « la douleur des femmes ».
Que notre douleur, que la douleur des femmes, que le chagrin des féministes deviennent victoire ! Victoire sur le mal qu'est le machisme, victoire sur cette honte qui consiste à frapper pour imposer sa force, victoire sur cette violence qui déshonore l'humanité !

Florence Montreynaud

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Marie Trintignant a été enterrée le 6 août 2003 à Paris, au cimetière du Père-Lachaise. Une dizaine de membres du réseau "Encore féministes !" assistaient à l'enterrement, par une chaleur caniculaire. Parmi eux, Jean-Claude Gabriel. Ce fut sa dernière action publique de féministe: il est mort quelques heures plus tard.

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Un texte d'Anne Parlange, 22 octobre 2003

La violence conjugale a désormais un visage : la face radieuse et souverainement belle de Marie Trintignant, fauchée par l'ego dominateur d'un violent, qui n'a même pas eu le courage de reconnaître son acte. Qu'a-t-elle ressenti, à ce moment terrible où la personnalité du violent se dédouble, où il révèle une face que personne ne croirait réelle, tant la transformation est brutale et horrible ? Le surgissement de la violence est d'une soudaineté inouïe, qui provoque une peur panique, un état de sidération, car la victime sait à ce moment-là de source sûre que ce qui est en jeu, c'est sa vie. Les sphincters se relâchent, la peau diffracte une transpiration réflexe glaciale comme la mort qui vient. Le violent n'est freiné par aucun tabou, aucune objurgation sociale, aucune réprobation véritable. Il plaidera le crime passionnel et les tribunaux le condamneront beaucoup moins que s'il avait braqué une banque.

Dans l'inconscient collectif, tuer une femme, disposer de sa vie comme un seigneur et maître, ne fait l'objet d'aucune condamnation nette. On est dans le flou de la complaisance, de l'adoration de la force qui ne dit pas son nom. Dans la soumission aux rapports de force les plus écoeurants, qu'on nomme de noms jolis, poétisés, la passion, l'amour à la folie, quand il s'agit d'un tabassage à mort. Marie Trintignant a été tuée à coups de poing, à mains nues. L'affaire a duré quelques minutes. Le violent est « faible » et « fatigué ». Il y a quatre orphelins. Il y a le chagrin affreux des proches, il y a nos larmes, il y a surtout une immense colère devant un escroc, ci-devant escroc aux bons sentiments et maintenant à la pâââssion. Et devant une hypocrisie généralisée, qui tolère ces captations de vie moyenâgeuses. 6 femmes par mois en meurent.
Anne Parlange, écrivain
Auteur de Le Souffle du Minotaure (Buchet-Chastel)

****************************************************texte de Sylvie Debras, 26 octobre 2005

S'élever contre un crime machiste, c'est être une « pouf » !

Le 25 octobre 2005, France Inter donne la parole à Hubert-Félix Thiéfaine. A propos d'une de ses chansons, « Ronge tes barreaux avec tes dents », le chanteur évoque l'été 2003, période où il a « suffoqué » et « beaucoup souffert de ce qui s'est passé à Vilnius, de ce qui est arrivé à l'un de [ses] camarades ». Il se désole de « ce qui est arrivé à Bertrand Cantat », chanteur de Noir Désir emprisonné pour avoir frappé sa compagne jusqu'à la tuer.
Le journaliste du 13-14, Patrick Boyer, tente mollement de récupérer le coup en parlant de la victime, l'actrice Marie Trintignant. Mais le chanteur ne l'entend pas de cette oreille. Non, c'est bien pour le tueur qu'il se désole. C'est de ce tueur qu'il est solidaire. Le chanteur qui dit se « mettre à la place des gens » est incapable de s'imaginer dans la peau de celle qui est tombée sous les coups, de ses parents ou de ses fils qui ont perdu celle qu'ils aimaient.
« Beaucoup de nanas en ont profité » et « ont resservi la soupe », accuse le chanteur, en parlant des femmes qui ont replacé ce drame dans son contexte : une France où les violences contre les femmes sont courantes et font une kyrielle de mortes chaque année. Une société où la domination masculine s'exerce au quotidien, à la maison mais aussi dans la rue et au travail. « Des conneries » pour le chanteur qui estime que « le problème est franchement ailleurs ». Et il continue en traitant de « poufs » les « nanas syndiquées dans les trucs féministes » qui ont osé s'en prendre à la violence de certains hommes dont Bertrand Cantat.
La complainte du chanteur ne s'arrête pas là. Il compatit avec tous ceux qui sont enfermés parce que « un jour, dans leur vie, ils ont eu un accident, ils ont pété les plombs, ils ont dépassé la norme. Pour quelques minutes de leur vie, ils gâchent le reste », ces gens qui « ne sont pas des criminels mais qui, pour une raison ou une autre, le deviennent ».

Triste monde, où on laisse, sur une radio sérieuse et à une heure de grande écoute, un chanteur plaindre un bourreau qui a frappé sa femme et l'a laissée agoniser sans lui porter assistance. Le meurtrier a « seulement » commis un crime sexiste. S'il avait commis un crime raciste, antisémite ou pédophile, aurait-on écouté sans sourciller le chanteur prendre sa défense ?

Voir aussi "Qu'attend-on ? Le prochain meurtre ?"